En termes de rémunérations, vos annonces conduisent à un décalage énorme entre les professionnels hospitaliers et « nos » professionnels. Votre dossier de presse donne l’exemple d’une aide-soignante avec 1 an d’ancienneté. Au 1er octobre 2021, une AS hospitalière devrait recevoir 1 760 € nets/mois, hors primes ; chez nous, (convention collective de 1951), elle touchera 1 300€ nets/mois, hors primes. Comment voulez-vous que je le prenne autrement que comme un appel à rallier l’hôpital et à déserter nos établissements ?
Nos métiers, nos compétences, nos engagements, nos spécialités ne sont pas connus. Je peux le comprendre de la part du grand public, je ne l’admets pas de la part du ministère de la santé.
D’ailleurs, savez-vous ce qu’est un AES ? Les AMP[i], devenus AES[ii], sont une catégorie professionnelle très importante de nos établissements. Ces professionnels sont tout simplement absents du Ségur de la Santé. Ils représentent sur notre établissement environ 70% des professionnels travaillant auprès des résidents polyhandicapés. Savez-vous qu’ils font le même métier que les AS sur nombre d’établissements médico-sociaux ? Cela peut évidemment se discuter, mais c’est une réalité. Et l’expérience montre qu’une composition mixte d’équipes, AS + AES, est très intéressante en vue d’un accompagnement de vie, global et de long terme.
Car nous essayons de marcher sur deux jambes. Le « médico », et le « social ». Par-là, il faut entendre que nous nous préoccupons de soins, de santé, de santé de tous les jours et aussi de bien-être.
Quand j’emploie cette dernière expression, j’ai toujours peur qu’on ne nous prenne pas au sérieux. L’importance d’un service de réanimation saute aux yeux. L’importance de se soucier du bien-être d’une personne polyhandicapée demande un petit temps d’arrêt. Pour les familles comme pour les professionnels, ce bien-être ce pourrait être la totalité des milliers de petites et grandes choses, au long des jours et des nuits (une cuiller adaptée à mes capacités motrices ; une chanson de bonne humeur ; une intervention médicale ; une belle et bonne installation ; mon plat préféré ! ; prendre le temps de me laisser choisir mes vêtements ; un geste de toilette de qualité, autant technique que relationnel…).
Ce bien-être ne se travaille pas dans le temps de l’hôpital, qui est celui de la rapidité du soin, mais dans le temps long de la vie. Dans nos Maisons d’Accueil Spécialisées, il est fréquent d’ « accompagner » une personne polyhandicapée pendant 20 ans et plus.
D’ailleurs, l’espérance de vie des personnes polyhandicapées ne cesse de s’accroître. Pourquoi ? On dit souvent : « les progrès de la médecine ». C’est vrai. De mon côté, j’aurais tendance à dire : « la constance d’un travail pluridisciplinaire ». Ceci inclut les soins de médecine mais élargit le cercle des acteurs à tous ceux qui, de près ou de loin, quotidiennement occasionnellement, essaient de concrétiser l’ambition de vie pour une personne ne pouvant l’exprimer par elle-même.
On ignorerait encore que tout se tient ? Pour rester sur le sujet de l’hôpital, on ignorerait qu’une personne à domicile ou en établissement qui est mal suivie arrivera plus vite (car mal soignée) ou souvent trop tardivement (car pas soignée) à l’hôpital ?
Que dire, et j’en témoignerai toute ma vie, du courage des AMP/AES/AS (et de tous les autres !) qui sont restées à leur poste de travail au printemps 2020, par engagement pour les personnes handicapées ! Et on sait que leurs salaires ne les incitaient pas plus que ça à tenir leur poste. Je témoigne de la peur du virus. Je témoigne de cette peur très aggravée par l’absence totale de masques pendant les premières semaines de mars 2020. Je témoigne que, malgré tout, elles étaient là.
Mais, aujourd’hui, chez nous, c’est plutôt « Elles – 1 » ! J’ai signalé dernièrement à vos services de l’Agence Régionale de Santé le départ d’une AMP pour une formation d’AS… Tiens tiens… La motivation de gagner un peu plus n’est pas étrangère à sa décision. L’effet sera mécanique et va s’amplifier. On ne peut, sans conséquence, valoriser certaines professions et contribuer à en dévaloriser d’autres. On ne peut pas non plus, sans conséquence, décider d’augmentations des salaires de professionnels uniquement dans certains secteurs d’activité.
Va-t-on vers une concurrence entre hôpitaux et établissements médico-sociaux ? Va-t-on vers une concurrence entre ESMS, entre hôpitaux ?
Dernièrement, un résident de notre établissement a dû aller à l’hôpital de secteur. Il était très faible. L’avis des médecins n’était pas bon. Mais ils ont tenté quelque chose. Et nous avons vu ce résident revenir. Quel joie ! Mais en deçà, cela ne dit-il pas que nous avons plutôt à penser « complémentarité » que « concurrence » ?
En disant cela, je me fais l’impression d’un bisounours. En ce moment, je n’y crois pas. Non, je crains beaucoup pour l’avenir de nos établissements « médico-sociaux ». Je crains pour nos spécialités, nos compétences, nos savoir-faire, nos publics accueillis et/ou accompagnés.
Faudra-t-il que nos établissements se transforment en petits hôpitaux et qu’on oublie peu à peu l’éducatif et le bien-être, ces notions apparemment ignorées du ministère ?
La comtesse de Ségur écrivait : « Dans les temps de lumière on règne par l'esprit ; mais l'audace et la force du corps commandent seules dans les temps barbares. » M. Véran, M. le Ministre, le Ségur de la santé pourrait-il faire revenir un peu de lumière pour les résidents, les familles, les professionnels du médico-social ?
[i] Aides médico psychologiques
[ii] Accompagnantes éducatives et sociales
Hervé Laplaize
Directeur de la MAS de Montfermeil
88, chemin du Clos Roger
93370 MONTFERMEIL