1. Billet d'Humeur
"Scolarisation et polyhandicap"

Voilà deux mots que je rêvais de voir ensemble dans une même phrase. 

Voilà une combinaison que je rêvais légitime et normalisée.  

Voilà deux définitions qui aujourd’hui ne s’opposent plus. 


Il y a quatre ans, l’enseignante et la maman que je suis se questionnait sur l’avenir de son petit garçon de 4 ans. 

Quel allait être son projet de scolarisation à venir ? Quel allait être son projet de vie ? 

Je me suis alors penchée sur la question en examinant de plus près les solutions proposées pour un enfant en situation de polyhandicap. 

J’ai poussé mes recherches hors des frontières locales/régionales (Bretagne) en me questionnant sur les réponses faites sur l’ensemble de notre territoire français. 

 
Billet_d_hum...
Ma surprise fut de constater que ces enfants étaient les grands oubliés de l’Éducation Nationale avec 80% de déscolarisation, peu de projets rééducatifs et pédagogiques mis en place et une prise en compte de leurs capacités largement négligée. 

J’avoue avoir été choquée par le manque cruel de considération des potentialités de ces enfants.  

Un enfant en situation de polyhandicap ne peut donc pas accéder au statut d’élève apprenant ? N’est-il pas capable d’apprendre ? Est-il donc condamné à vivre ou subir cette vie, rendue si lourde par ses handicaps intriqués, sans qu’on puisse lui donner la moindre chance d’évoluer à la hauteur de ses capacités et besoins ? Quelque chose justifie-t-il la privation d’accès au savoir ? 

Un enfant souffre d’un polyhandicap.  
Il n’est pas UN polyhandicapé, mais un garçon, une jeune fille, dont on doit respecter l’individualité, les besoins et les droits.  
Il ne peut être réduit à ses difficultés.  
Il ne peut pas se voir ôter ses droits sous le couvert de la lourdeur ou de la complexité de son handicap. 

Avoir accès à une scolarisation est un droit fondamental. 
Les nombreuses conventions, lois et règlementations au sujet de la scolarisation d’un enfant en situation de handicap contenaient-elles un astérisque ? : *« oui ok scolarisation et handicap, mais tout sauf le polyhandicap ! ». Et bien non… 

Mais alors pourquoi ce constat dramatique en France, au pays des droits de l’Homme ?  

L’analyse de cette question m’a à la fois permis de comprendre les blocages institutionnels et sociétaux, et m’a aussi permis d’insuffler un profond besoin de faire avancer les choses et de bousculer l’ordre établi. 

Il y a d’un côté la vision encore très marquée de l’enfant polyhandicapé comme « objet de soin ». Cet enfant dont la vie est rythmée par les transferts, les rendez-vous médicaux, les soins, les prises en charge. Cet enfant dont la problématique très complexe et l’état de vulnérabilité impose d’elle-même ce cadre rigide et limitant, à laquelle on priorise un accompagnement médicalisé ou éducatif, légitime, essentiel mais qui a fermé la porte aux autres possibles de ces enfants. 

Et puis, si nous regardons, du côté de la société, si nous questionnons les individus sur la tâche de « scolariser », nous nous rendons tout simplement compte que nous avons ôté l’essence même de ce qui fait sa force :  
« Scolariser pour apprendre et apprendre pour s’élever, pour comprendre son monde, pour se construire. Apprendre pour mieux vivre ». 

Mais malheureusement ce que nous retenons ne reste que le « apprendre pour avoir un métier ». 
Apprenons-nous pour devenir de bons petits actifs au service d’une société qui rentabilise en amont un investissement sur l’humain ou apprenons-nous pour être plus libres, vivre plus fort, vivre plus beau ? 

Me voilà bousculée une nouvelle fois ! 
Jamais je ne me suis imaginée en éleveuse de bons futurs employés. 
Jamais je n’ai considéré mon travail au service de quelque chose d’autre que celui de l’épanouissement d’un enfant. 

Alors, sur cette simple base, l’accès à une scolarisation est tout simplement possible pour TOUT enfant dont le projet de vie tout entier pourrait en tirer un bénéfice. 
Une scolarisation adaptée, pensée, réfléchie, respectueuse et ambitieuse

Apprendre serait même encore plus nécessaire chez nos enfants. 
Abandonner un tel projet est, selon moi, leur rajouter un SURHANDICAP. 
Apprendre sert à mieux comprendre le monde et à s’adapter aux contraintes de celui-ci. 
Apprendre sert à connaître et reconnaître son monde pour pouvoir le maîtriser, agir sur et avec lui. 
Sans apprentissage, nos enfants sont alors condamnés à subir ce monde qu’ils ne comprennent pas. 

La tâche semble complexe car avant même d’avoir été pensée elle a été abandonnée. 

Nos enfants sont capables. 
Nos enfants ont des pouvoirs inexploités. 
Nos enfants ont des potentialités sans limites. 
Nos enfants ont des possibles infinis tant qu’on sait comment les dévoiler au monde. 

Qui sommes-nous pour décider qui mérite l’accès au savoir et qui n’en a pas besoin ? 
Se porter en défenseur de l’enfant polyhandicapé prétextant que ses besoins sont ailleurs, ses compétences limitées et que cela ne sert à rien, évoquant la perte de temps, d’énergie, l’inquiétude du faux espoir, est-il du bon sens ou de la résignation ?  

Et si nous laissions l’enfant nous guider, exprimer de lui-même ce qui est bon pour lui, ce qui va lui servir… Mais pour le faire, pour pouvoir l’exprimer soit même, ne faut-il pas l’apprendre ?  

Il est indispensable de considérer et accompagner l’enfant polyhandicapé de manière globale, en présumant de ses compétences et en proposant des modalités d’interventions justes, cohérentes, adaptées, bienveillantes et ambitieuses. 
La scolarisation doit faire partie d’un véritable projet pour l’enfant, accompagnée d’un décloisonnement des pratiques de soins et d’une réflexion portée et investie par l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire qui accompagne l’enfant. 
La scolarisation sous toutes ses formes : inclusion, unité d’enseignement, instruction en famille, temps d’apprentissage quotidien, doit être offert à nos enfants. 
Cela ne doit pas remplacer l’accompagnement quotidien essentiel à leurs vies. 
Cela doit le sublimer, le compléter, offrir un autre regard, offrir un nouvel horizon ! 

La scolarisation est aussi l’un des premiers actes de sensibilisation et d’inclusion.  

L’inclusion dans la société des personnes en situation de polyhandicap ne pourra se faire correctement que si cela est admis et rendu « ordinaire », « légitime » par l’ensemble d’une communauté et pour y arriver, il faut que cela s’opère dès le plus jeune âge et donc commencer par un des lieux de vie importants de l’enfant : l’ECOLE. 
Connaître le handicap, le côtoyer, le comprendre, le vivre… pour l’ACCEPTER et ne plus en avoir peur. 

La pensée de Tony Ungerer traduit parfaitement ce que la nouvelle société française doit admettre en son sein pour la scolarisation de TOUS ses ENFANTS. 
Sur notre précieux « LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ », ce grand auteur disait : 

 
« La liberté, c’est avant tout le droit de l’individu à sa propre identité. 
L’égalité, c’est l’harmonie entre les différences qui se complètent. 
La fraternité se crée dans le respect de l’identité des autres. » 

Je suis alors soulagée, après des années bercées par les doutes, les questionnements et les peurs de l’avenir, de voir des textes de lois, recommandations et autres publications officielles fleurir tour à tour et offrir un espoir de vie plus digne à nos enfants. 

Nous avons tant attendu que nous ne laisserons pas passer cette chance. 
Nous rêvons ce changement pour maintenant.  
Faisons de ce doux rêve une merveilleuse réalité !  


 

                                                                                                 Laura COBIGO 
                                                                                                 Maman de Malo 
                                                                                                 Professeure des écoles 
                                                                                                 Directrice du Centre des Possibles 
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