1. Billet d'Humeur


"En juillet 2020, l’association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) publie une nouvelle définition de la douleur :
 “une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à, ou ressemblant à celle associée à, une lésion tissulaire réelle ou potentielle “.
 
Dans cette nouvelle version a été ajoutée la locution “ou ressemblant à “, pour pallier le manque de prise en compte de la douleur chez la personne dyscommunicante ou ayant un système de communication propre à elle-même."


Je suis AMP depuis 8 ans.
 
J'ai toujours travaillé auprès d’adolescents dans une structure médico-sociale.
Billet_d_hum...
De manière générale, l'adolescence n'est pas une période des plus aisée et les adolescents polyhandicapés ne sont pas épargnés par cette période. C'est un âge, dans le polyhandicap, où peuvent flamber certains aspects de leur handicap, ils grandissent et leurs maux peuvent eux aussi grandir.  

Dans ma pratique professionnelle, j'ai été, à plusieurs reprises, confrontée à la douleur chez des jeunes que j'accompagnais. Cette douleur est parfois difficile à saisir, à comprendre.
Il est nécessaire pour nous, personnel éducatif, de nous fier à ce que nous connaissons du jeune, à ce que les parents nous en disent mais surtout à ce que l'enfant essaie de nous communiquer, à sa façon.  

Sensible à cette problématique de la douleur, j’ai suivi des formations : j’y ai appris  que si une et une seule personne dans une équipe pensait qu'un jeune souffrait, c'était cette personne qu'il fallait écouter et non ceux qui  doutaient.
Depuis ce jour, j'ai décidé de me fier à mon instinct professionnel et humain et de ne pas douter de ma connaissance des jeunes que j'accompagne.

Mon combat concernant la prise en charge de la douleur chez la personne polyhandicapée a d'abord commencé par un combat personnel : je vis avec des douleurs chroniques depuis quelques années et je n'ai pas toujours eu la sensation d'être entendue ou comprise.  

Il y a peu de temps, j'ai dû faire face à ce manque d'écoute : je sortais d'une opération et ressentais de vives douleurs que j'ai signalées. Je n'ai pas reçu de traitement antalgique, j'ai passé la nuit en position fœtale à remplir une grille douleur dans ma tête pour être sûre que j'avais vraiment mal et à ne pas comprendre pourquoi ma douleur n’était pas traitée. 
J'ai pourtant pu m’ exprimer de manière claire  auprès de l'infirmière. Elle ne m’a visiblement pas écoutée et m’a laissée souffrir pendant 12h. 
 
Mon intérêt pour cette problématique en a été décuplé :  

Comment imaginer qu'un jeune qui ne communique qu'avec ses yeux, des vocalises, des mimiques, des pictogrammes, soit compris par des gens qui ne le connaissent pas ? Je commençais à envisager l’étendue du problème. 

Comme on l’a vu, l'adolescence dans le polyhandicap apporte son lot de difficultés : la scoliose qui s'aggrave, les fausses routes plus nombreuses, les déformations qui s'installent... Tous ces maux sont de potentielles douleurs à prévenir et à traiter.  

J’avais vécu, précédemment, une première “mauvaise“ expérience de la prise en charge de la douleur pour une jeune dont j'étais référente  alors qu’elle était temporairement accueillie en milieu hospitalier.  
Cette jeune fille avait été admise en réanimation pour une infection pulmonaire. Une collègue et moi-même sommes allées lui rendre visite, elle était sous oxygène, consciente.
Quand nous sommes arrivées, elle semblait rire.
Mais c'était un rire que nous lui connaissions et que nous n'aimions pas. Elle riait de cette façon quand elle souffrait, un rire crispé, avec une respiration particulière.
Nous avons immédiatement alerté les infirmières. Je ne les blâme pas, elles ne savaient pas. Elles nous ont expliqué qu'en se référant à la grille douleur affichée sur le mur, un antalgique n'était pas nécessaire.  

Ma première bataille contre la douleur commençait : comment faire entendre à une IDE, qui travaille en réanimation depuis x années, que 2 aides médico-psychologiques ne sont pas d'accord avec son avis de professionnelle ?  

Et là, oui j'étais fâchée, j'étais en colère, nous n'étions pas dans une question de savoir, de diplôme, nous étions dans une question de “qui est le plus à même de comprendre cet enfant”  ? Sa maman et ses référentes éducatives ou une personne qui la soigne depuis quelques heures ?  

Nous n'avons pas eu gain de cause ce jour-là. Nous étions censées être la voix de cet enfant, qui exprimait sa douleur à sa façon. Nous n'avons pas été entendues et de fait, elle non plus.  Cet “incident” s'est reproduit plusieurs fois et nous avons dû demander au médecin de l'institut d'appeler le service pour qu'enfin, elle et sa douleur soient écoutées. 

Cette histoire n’en est qu’une parmi tant d'autres,  vous avez compris le fond :

Comment faire entendre une douleur qui ne s'exprime pas « normalement » aux yeux de l'autre ?
Sans aïe, sans pleur, peut-être même sans expression aucune ?  
Comment cette douleur peut-elle être entendue alors que c’est déjà si difficile lorsque l’on a les mots ?  

Cette question, qui me poursuit encore, est devenue mon projet. 


A partir de ces expériences, qui m’ont marquées,  je me suis davantage penchée sur les outils existants et les réponses que nous pouvions apporter pour être plus efficaces dans la prise en charge de la douleur des personnes polyhandicapées.  

Nous avons dû mettre en place l'utilisation de “grilles douleur” au sein du groupe de vie dans lequel je travaille car nous avions à accompagner plusieurs jeunes potentiellement douloureux. Une fois complétées, ces grilles donnent un “score” qui est un indicateur du niveau de douleur ressenti par le jeune. La violence du score apporté par cette grille, que nous avons pu constater, m'a fait encore davantage prendre conscience  du peu de compréhension que nous avions de la douleur chez les personnes polyhandicapées et de la nécessité absolue d'avoir recours à ces outils, de partager nos connaissances sur leur utilisation avec le personnel hospitalier amené à soigner les jeunes que nous accompagnons au quotidien, avec les familles aussi. 

Je pense qu'il est important de rappeler les recommandations publiées par la Haute Autorité de Santé ce 5 novembre dernier. La HAS appuie sur la nécessité des regards croisés quand il s'agit de douleur. De l'importance de la prise en compte de l'expertise des familles et des professionnels dans le repérage des signes de la douleur. 

Aujourd'hui, je suis en quête de solutions pérennes pour répondre efficacement à ces douleurs. Alors je creuse, je cherche et je construis un projet.  
Pouvons nous apporter des solutions en mettant en place d'un CLUD (Comité de Lutte contre la Douleur) dans les établissements médico-sociaux ?
En travaillant plus étroitement avec des médecins algologues ?
En instaurant une utilisation plus systématique des grilles douleur ? 
Sûrement un peu des trois. 

Je me dis que la reconnaissance de la douleur chez le nouveau-né a pris du temps mais qu’elle a abouti, et même si le chemin pour une prise en compte efficiente de la douleur chez la personne polyhandicapée est long, il n’est pas vain et il faut s’en saisir.  
Ne doutez jamais de votre ressenti, que vous soyez parents, aide médico-psychologiques, éducateurs, personnel paramédical, ne doutez jamais.

Vous êtes, nous sommes, la voix des jeunes que nous apprenons à connaître jour après jour pendant plusieurs mois, années.  

S’il vous plait, ne lâchez rien et faites de leur douleur votre combat. 
 

 
Par Gaëlle Boland
Janvier 2021
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