Car ce sentiment de mépris, de la part de nos décideurs envers ce public profondément vulnérable et dont les besoins sont grands, est un sentiment largement partagé depuis quelques années déjà par les personnes concernées… comme si le polyhandicap n'était pas un « investissement » rentable, comme s’il fallait sans cesse rogner le budget de celui qui ne fera jamais preuve de productivité.
Ils sont nombreux à lui avoir été adressés, les constats alarmants et les témoignages de professionnels et familles, transmis noir sur blanc. Les problématiques qu’ils rencontrent sont si nombreuses … même si demeurent les espoirs et les ambitions, parce qu’il en faut ! Mais silence radio.
En tant que mère et militante associative au contact de familles d’enfants, d’adolescents, d’adultes polyhandicapés… j’aurais bien la légitimité de vous dire ma colère, de vous la crier même à travers ces quelques lignes, parce que les faits sont les faits.
Prenons l’exemple de Marseille : chez nous c’est une cinquantaine d’enfants en attente de solution… et autant de jeunes adultes et d’adultes qui partagent leur quotidien avec des enfants de 3,4,5 ans pour les plus chanceux. Les moins chanceux sont à domicile, à des âges qui parfois laissent entendre qu’il n'y aura jamais de structure pour eux. A 12 ans, en établissement on travaille l’adolescence, à 15 ou 16 ans on envisage l’âge adulte… alors dire qu’on fera une adaptation à 12 ou 13 ans c’est comme croire au père Noël. Mais je ne demande pas mieux.
Autant de familles, d’aidants en attente.
Mais en attente de quoi finalement ?
C’est la question qui me taraude.
Inclusion, désinstitutionalisation, transformation de l’offre et autres innovations me laissent tout de même perplexe quant à l’avenir de nos jeunes. L’inclusion en crèche, en petite section que l’on nous vend aujourd’hui comme « innovante » et répondant aux injonctions de l’ONU existait déjà il y a douze ans. Mon fils lui-même a vécu de belles années en crèche
On va où ? J’aimerais développer mais je l’ignore. Tout ce dont je suis certaine c’est que nos enfants, jeunes et adultes polyhandicapés ne pourront jamais se passer de l’institution, au moins en partie, telle qu’elle existe aujourd’hui… ne serait-ce que pour une question de répit pour les familles !
Alors oui, on voit de belles choses émerger, à l’image de l’équipe mobile de l’établissement de mon fils, de cette merveilleuse Ecole des Possibles... ça émerge, certes, ici et là, ça fait ses preuves doucement. Parce qu’il faut les faire, soyons clair, lever des fonds privés là où ils sont et bricoler avec les moyens du bord faute de moyens dédiés, mais prenons-nous réellement la mesure de ce que représente demain ?
Demain, ce n’est pas si loin.
Nous les parents, les oubliés du “ sécure” comme j’aime à nous appeler avec ironie, qu’allons-nous offrir à nos enfants grandissants ? Quelles conditions de vie les attendent ?
Seront-ils amenés doucement vers ces dispositifs dits inclusifs mais qui riment dans leurs cas très complexes avec retour à domicile (à la charge de parents corvéables à merci) ?
On dit que les enfants grandissent et les soucis aussi… Ô combien ce dicton est vrai lorsque notre enfant ne grandit “pas tout à fait comme il faut”. Le mien d’enfant… ne l’est déjà plus. Alors croyez bien que demain, pour lui, pour moi, plus que jamais ce n’est pas si loin !
En me relisant j’ai ce sentiment amer qu’une fois de plus mes mots n’atteindront que cet « entre nous » perpétuel… que la société tout entière se décharge du polyhandicap et ça… ça me met en colère.
Nos enfants ne méritent-ils pas d’accéder à l’intégralité de leurs droits ? A une réévaluation constante de leur projet de vie, à des apprentissages à tous les âges de la vie ? A des solutions réelles et adaptées ?
Au choix, soyons fous !?
Je vous ai prévenu que nous allions rigoler.
Cela coûte cher me direz-vous… Et oui cela demande d’investir par des moyens financiers et humains ; et j’en arrive à me demander si notre société est encore en phase avec ce qui a fait d’elle un modèle… la solidarité.
Parce que mon fils - et ils sont nombreux à ne pas coller à l’idée que l’on souhaite véhiculer du handicap, à une forme de “Norme dans la Norme” - Il - Ils- ne collent pas à cette orientation qui prétend répondre à l’analyse des besoins de chacun en les renvoyant à l’unique responsabilité de leur proches et à quelques rares représentants de terrain.
A une profonde inégalité de chances au fond.
La conception du handicap que l’on nous sert et ressert sous couvert de rapports et d’injonctions émanant de là-haut, encore plus en haut, avec des termes employant un nouveau vocabulaire, un vocabulaire substantif qui a d’emblée une valeur positive comme l’a justement écrit un certain Bertrand Quentin dans son dernier ouvrage*...
Mon fils n’est pas de ceux que l’on dit "Handi'capables" - autrement capables - il n’a à son actif aucune médaille, pas de Duo-Day en vue non plus.
Mais mon fils aspire à vivre et non à seulement exister. Il rit et il vit. Il n’est pas une sous-personne qui doit se contenter de l’aumône qui lui est faite.
Et de finir mon billet, qui prend l’allure d’une interrogation, en reprenant ce philosophe qui nous invite à la réflexion commune :
“ Les handicapés existent-ils ? “ dans l’un des chapitres de ce même livre que je vous invite à lire.
Sonia Khoudir,
Maman de Yssam , 13 ans, polyhandicapé et épileptique sévère. Sans diagnostic à ce jour.
Présidente fondatrice de l’Association Poly mômes PACA.
*Ouvrage cité : " les invalidés" Bertrand Quentin