Nous sommes alors convaincus de sa volonté d’œuvrer pour un public qui nécessite des soins et de la rééducation afin d’acquérir des compétences, des capabilités, ou pour aménager son environnement, développer des outils de communication…tout ce qui œuvre pour réduire les douleurs, les raideurs, la spasticité et autres difficultés motrices ou de communications. Le défi de recruter des rééducateurs, infirmiers et médecins est acquis, nous faisons avec « les moyens du bord » plus ou moins comblés, plus ou moins satisfaisants selon les périodes depuis des années déjà…
La nouveauté c’est que nous connaissons ces mêmes problèmes, pour les métiers qui assurent l’accompagnement quotidien, les actes de soins et les actions éducatives : les moniteurs-éducateurs (ME), les aides-soignants (AS) et les accompagnateurs éducatifs et sociaux (AES). Le recours à des intérimaires nous a permis de poursuivre notre activité et de traverser cette crise naissante pendant plusieurs années.
Mais la crise sanitaire est passée par là, usant les professionnels qui ont assuré sans relâche et avec professionnalisme la sécurité des personnes accueillies, en appliquant des mesures parfois à contre sens des pratiques cohérentes avec leurs besoins, de valeurs ou d’une éthique largement défendues dans d’autres circonstances.
Puis l’obligation vaccinale s’est imposée, laissant de nouveaux postes à pourvoir.
Enfin, l’annonce d’un Ségur au rabais et partiellement applicable bien tardivement et selon les catégories professionnelles désespère les meilleures volontés.
Ce que l’on nomme l’attractivité des métiers est aujourd’hui au cœur de nos préoccupations, les professionnels sont inquiets pour leur avenir et surtout pour celui des personnes accueillies. Ils sont parfois démotivés et chaque nouveau départ accroit les tensions. Tensions issues d’un fonctionnement quotidien porté par des personnels fatigués de travailler avec des intérimaires à qui il faut, chaque jour, redire la mission, expliquer chaque spécificité individuelle ; fatigués des changements d’horaires, des journées rallongées et des congés modifiés. Professionnels qui portent la peur d’une fausse route par inattention ou ignorance d’un intérimaire, plein de bonne volonté au demeurant, à qui on n’aura pas donné toutes les informations faute de temps ou par surcharge…
Cette réalité quotidienne n’est plus possible !
Les personnes accueillies sont mises en danger par ces pratiques, les repères indispensables à leur bien-être ne sont plus tenables, les intervenants se multiplient faisant perdre tous les repères, les rituels ne sont plus respectés…Bref tout ce qui sécurise affectivement, techniquement et matériellement pour de bonnes conditions d’accueil, de soin, d’éducation et d’accompagnement, ne sera bientôt plus la norme mais l’exception …
La relation et le lien, enjeux si importants dans nos pratiques, au cœur de nos métiers, sont gravement altérés par ces conditions. Les titulaires s’usent et s’épuisent, ils perdent le sens de leurs métiers, les arrêts maladie se multiplient et l’annonce des départs des personnels éducatifs, faute de reconnaissance, est une nouvelle perspective anxiogène à gérer.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
- Par l’absence de considération d’un secteur dont on ne parle jamais car il ne concerne que les personnes touchées par le handicap, leurs familles et les professionnels qui ont trouvé du sens dans leurs pratiques et leur expertise. Depuis des années nous réclamons des revalorisations salariales pour qu’elles se rapprochent, à métier équivalent, des conditions du secteur public…en vain.
- Par une déqualification, en créant de nouveaux métiers par soucis économiques, les uns remplaçant progressivement et massivement les autres…
- Par l’absence de reconnaissance de l’engagement des professionnels pendant la crise sanitaire. Pas un mot de remerciement pour le secteur du handicap… Nous ne voulons pas d’applaudissements mais quelques mercis auraient été bienvenus au même titre qu’une attention salariale pérenne.
- Par une marchandisation des métiers à travers le développement de l’intérim qui n’est pas régulé et est aujourd’hui plus attractif qu’un contrat de travail en établissement.
- Par des réformes du secteur technocratiques éloignées du terrain.
Et par l’annonce d’une inclusion des personnes en situation de handicap, sans prendre la peine de porter un regard sur les particularités de certaines d’entre elles, pour qui l’inclusion n’est qu’une chimère à moins d’assumer l’abandon des plus vulnérables.
En tant que directrice je m’inquiète, je réagis, je manifeste, je soutiens : personnes accueillies, familles et professionnels, j’use de mon devoir d’alerte… Je suis déçue, parfois désabusée mais surtout atterrée de ne pas assurer la mission confiée, de fermer les portes au lieu de les ouvrir…Désespérée d’avoir découvert ce grand nord, cette solitude d’un non choix extrême, difficile mais obligé… Parfois découragée, je suis finalement trop passionnée et obstinée pour abandonner. Je suis convaincue d’être au bon endroit pour contribuer à une justice en défendant ce secteur, la solidarité qui l’a construit et l’avenir à lui offrir dans une juste évolution et adaptation à ce monde qui change, en s’appuyant sur des valeurs et une expertise acquise au plus près des personnes concernées et non sur des objectifs, des idéaux économiques et bureaucratiques qui seraient transposables à l’humain…
Mais pour cela il faut réveiller les décideurs qui laissent à voir leur désintérêt, leur mépris, pour un secteur discret, dévoué, engagé et expert, passé inaperçu depuis de trop nombreuses années. Nous sommes, professionnels, parents et personnes en situation de handicap, le dernier rempart avant l’effondrement…alors oui sortons de notre réserve, dans le respect et dignement mais ne laissons pas fermer d’autres portes…
Maryline GAL – Directrice d’établissement pour l’APEI de Chambéry -