Qu’y a-t-il de plus important que le regard posé sur nos enfants, jeunes ou adultes ? 

C’est à travers le regard que passe la reconnaissance de l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a l’air d’être au premier abord, c’est à travers le regard que se fait la rencontre, sans laquelle il n’est pas d’humanité 

Car le regard n’est pas seulement celui des yeux, mais d’abord celui de l’âme, de l’esprit, celui de l’amour et de la bienveillance. 

C’est à travers tout cela que l’apport de Régine Scelles, qui vient de nous quitter, est inestimable. 

On dit souvent que pour accompagner une personne, handicapée ou non, il faut la prendre là où elle en est, et non pas là où l’on croit qu’elle est. Là où on se contente de croire, faute de connaissance, d’observation, d’outils. Il n’est pas toujours simple d’observer, de prendre le temps, de connaitre la personne, de croiser les regards, d’évaluer, de douter, d’avoir la justesse. 

C’est un véritable bouleversement de ce regard qu’elle a apporté. Au-delà de la connaissance de la vie relationnelle, de la vie psychique des enfants, des intrications familiales, notamment chez les frères et sœurs, ce qu’elle a apporté de reconnaissance de nos enfants est sans limite.  

Pour l’enfant polyhandicapé, le P2CJP d’abord (Profil de Compétences Cognitives du Jeune Polyhandicapé) puis à toutes les étapes de la vie, l’ECP (Evaluation-Cognition-Polyhandicap), scientifiquement validés, constituent un bouleversement copernicien.  

D’abord parce que s’intéresser « scientifiquement » aux capacités cognitives de ces personnes pour lesquelles, pendant longtemps, il n'y a rien eu à faire, qui étaient « inéducables » était un énorme renversement de représentation ; renversement qui permet aujourd’hui d’envisager une scolarisation, non seulement sous l’angle du droit, mais aussi sous celui d’une réelle reconnaissance des capacités, si petites soient elles. Reconnaissance qui combat, avec l’accord bienveillant des professeurs et des professionnels, le surhandicap dont ont souvent été victimes beaucoup de ces jeunes.  

Mais surtout parce que ce changement de regard, qui change aussi la vie des parents, va faire, fait déjà école.  Et c’est peut-être là qu’elle nous laisse ce qu’il y a de plus important : regarder autrement. 

Regarder autrement, ne jamais s’habituer, bousculer ses habitudes, avoir tous les jours un regard neuf, et pas seulement positif ou bienveillant. Être toujours présent à ce que l’on voit, à ce que l’on perçoit, que l’on renvoie ; C’est ce qui habitait Elisabeth Zucman ou Stanislas Tomkiewicz, c’est ce qui habite aujourd’hui nos grands témoins, nos grands acteurs. C’est par exemple le regard de Marc Dubois, réalisateur des  « ados pas comme il faut », le regard qui donne à voir au-delà des apparences.  Celui de Laura Cobigo, fondatrice du 1er centre Ressources et d’Appuis Scolarisation et Polyhandicap, de Danièle Toubert, Esther Atlan et l’équipe de l’INSHEA qui ont mené la recherche POLYSCOL... 

Retenons cela de l’œuvre et du travail de Régine Scelles, l’importance absolue du regard, surtout quand il se pose sur nos enfants et leurs capacités, quel que soit leur âge.  

Ce regard, il nous faut maintenant nous l’approprier, ce regard qui ne met pas en échec mais reconnait chacun pour ce qu’il est avec ses potentialités et ses limites, sans jamais porter jamais de jugement de valeur. C’est le plus bel hommage que nous puissions lui rendre. 

                                                                                                                            Marie-Christine Tézenas du Montcel
                                                                                                                            Présidente