Connaissez-vous la fosse des Mariannes ?

Il ne s’agit pas du cimetière de la République, mais d’une fosse abyssale dans l’océan Pacifique nord, à l’est des iles Mariannes, mesurée à plus de 10 900 m, soit près de 11km de profondeur. 

Vertigineux… 

C’est aussi ce qui me semble, parfois, séparer ce que je vis de ce que je lis. 

Du moins dans les journaux, lorsqu’ils se font l’écho de projets et de lendemains qui chantent. Des deux côtés de cette fosse, des mondes parfois étrangers. Des réalités de terrain, des manques, des insuffisances d’accueil et d'accompagnement, contre des  projets, des décisions des engagements dans lesquels nous ne retrouvons pas, ou si peu, nos enfants, nos amis polyhandicapés. 
Quelquefois, on les voit émerger. Mais c’est toujours avec des délais. Quand, mais quand tout cela sera-t-il réalité ? J’entends encore le cri, il y a bien des années, de Marie-Claude Fabre, fondatrice des Amis de Karen : "Pour faire un monde, mon Dieu, que c’est long…. "

Certes l’accompagnement des personnes polyhandicapées a bien progressé au cours de ces dix dernières années. 
Témoin la remarquable journée de formation du Cesap qui avait pris pour thème les émotions des personnes polyhandicapées. Inenvisageable il y a encore quelques années... 

Mais c’est surtout dans les textes, dans la recherche que l’on voit le progrès, plus que dans la réalité de terrain malgré l’engagement, le talent, la volonté des professionnels. 

Que c’est long !

Tous ces obstacles, ces crises en travers de la route, tous ces objectifs souvent excellents mais qui ne concernent pas le polyhandicap…
Toute cette méconnaissance des réalités, ici et maintenant et des drames quotidiens que cela provoque, de l’épuisement des familles, et des professionnels.  

Nous ne pouvons que nous réjouir de tout ce qui se construit en termes d’accès aux droits, en termes de prévention de maltraitance.  

Mais quand la maltraitance vient d’en haut ? 
Quand elle installe, par ignorance, par méconnaissance, voire par désintérêt des défauts d’accompagnement, une négligence inhérente au manque de professionnels attirés ailleurs par des salaires augmentés annoncés à grands coups de communication ??
Quand il n’y a pas assez de professionnels pour accompagner nos enfants, nos proches les plus dépendants ? 
C’est vrai, les annonces sont là. 
C’est pour bientôt.
Pour demain.

Mais en attendant ? Aujourd’hui ?
J’entendais la semaine dernière une directrice d’établissement dire : « on se demande si on ne va pas devoir renvoyer les enfants chez eux, les accueillir à mi-temps faute de professionnels… » Ce sourire de nos enfants en arrivant dans leur établissement ne compte-t-il donc pour rien ? Ces mêmes enfants arrivent dans des établissements d’adultes où plus personne ne prendra en compte, ou si peu, leurs possibilités de communication qu’on a développées avec tant d’application, tant d’amour dans les établissements pour enfants et adolescents ? Va-t-on les renvoyer au mutisme dont ils ont mis tant de temps à sortir ?? ?
Faute de volonté, mais aussi faute de temps, faute de professionnels, faute de formation ?  

Demain, bien sûr ce sera mieux. Demain….

Mais aujourd’hui ? 

Le drame des départs non consentis vers la Belgique s’achemine enfin vers son dénouement. On lisait hier dans les journaux que notre ministre annonce la création de 650 places d’accueil en établissement. 
Très bonne nouvelle. Mais… Mais cela ne concerne pas les personnes polyhandicapées, si minoritaires dans cet exil (7%) qu’on ne les mentionne même pas.  
Où sont les places attendues pour les personnes polyhandicapées, que l’on n’oublie que trop ? Où en sommes-nous avec la connaissance des vrais besoins ?? Les derniers chiffres de la Drees concernant les jeunes maintenus en amendement Creton faute de places d’accueil dans le monde des adultes datent de 2014. Les chiffres de la CNSA ne distinguent pas le polyhandicap. Cela en dit long sur la volonté réelle de savoir à quoi s’en tenir…  Comment construire à l'aveugle ?

Les projets, les chantiers se multiplient, parfois dans la précipitation. Et c’est bien. Mais paradoxalement, les réalisations procrastinent. 

Les lendemains chantent, certes, mais ils chantent faux.
Je le constate avec beaucoup de tristesse et je le dis avec un brin d’amertume, c’est aujourd’hui que je voudrais entendre chanter. Mais non, il chante trop timidement.
Quand il chante….. 




                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Marie-Christine Tézenas du Montcel,
                                                                                                                   Présidente du GPF